Chroniqe neuf:

 

Le noyau de la famille sacrée-un  

Comprendre la famille du Prophète (P. S. sur lui) (Ahlou El Beit), c'est ouvrir la voie à une meilleure approche d'une bonne partie de l'évolution des mœurs en Islam sur tous les plans dont religieux, culturels et politiques. Tous les tissus sociaux, toutes les tendances, toutes les luttes et les différences idéologiques sont partis de la conception que donnent les uns et les autres à la définition de la famille du Prophète (P. et S. sur lui). Deux grands courants se disputent entre eux cette notion et chacun prétend détenir la clé de sa compréhension en déterminant les implications à sa mesure suivant son effort d'interprétation des textes et parfois il faut le dire selon ses intérêts: les sunnites qui l'élargissent au maximum et les chiites qui la limitent à l'extrême.


Deux grands courants

A l'intérieur de ces deux grands, la dispute est également âpre sur le rôle et la place de la famille sacrée dont aussi bien le Coran que le Hadith font état. Sur leur existence, il n'y a pas de problèmes car il y a unanimité. Personne ne peut aller contre quelque chose de sacrée, explicitement citée dans le Coran et le Hadith et concrètement ayant existée sur le terrain. C'est cependant sur la limitation du champ d'appartenance et le rôle de mission politique que les différences apparaissent, d'où la naissance de conflits et de schismes multiples et souvent meurtriers. Le rôle de la famille sacrée supposée être unificateur et modèle d'inspiration, devient facteur de division et de luttes hégémoniques lorsque la politique et l'idéologie s'y mettent de façon directe ou indirecte sans aucun scrupule.

 

Le califat et le principe de la choura

Durant le règne des quatre califes, fondés sur les principes de la choura, au sens démocratique du terme, le problème ne s'était jamais posé ni pour l'un ni pour l'autre. Tellement les choses étaient claires et simples. L'absence de calcul aussi et la présence de l'honnêteté y étaient les traits dominants. Le choix à la candidature était ouvert aux compagnons les plus rapprochés du Prophète (P. et S. sur lui) non par rapport à leur appartenance à la famille sacrée, mais par leurs engagements dans la défense des principes de l'Islam et par leur aptitude à assurer le Khalifat du Prophète (P. et S. sur lui). Le Prophète (P. et S. sur lui le salut) était tranchant en matière de conduite. Pour donner l'exemple, il dit même "si Fatima Zohra vole, je lui couperai la main". Mais Fatima (Que Dieu l'agrée) ne vole pas. Le critère de base était : la chose publique est une affaire de choura entre les musulmans,

en passant par la consultation et le vote, c'est vrai limitée aux gens dignes de confiance et d'influence, mais selon l'interprétation saine du verset dans sourate Echoura.

 

 Ce verset avait été suivi à la lettre du temps du califat errachidia. C'était du reste la seule recommandation laissée par le Prophète (P. et S. sur lui). Il n'avait de son vivant privilégié aucun compagnon fut-il rapproché sur un autre autrement que par les critères de piété et de conduite. Ses préférences étaient, telles qu'elles ressortaient de certains hadiths, notamment sur la bienfaisance, la prière, la croyance, le djihad, les relations avec autrui. Ainsi il disait que la croyance de Abi Bakr arriverait à faire basculer la balance de son côté si on la comparait à celle de tous les croyants réunis. Il se targuait du caractère justicier de Omar, de bienfaiteur de Othmane et de courageux et de digne de Ali (Que Dieu les agrée). Il disait autant pour les autres compagnons pour mettre en exergue leur mérite sur des points précis. Certes, il avait prédit les successions des grands califes et même de certains de leurs successeurs dont Mouâouia, selon des sources, mais cela procédait de la prophétie qui s'était vérifiée et non de la désignation de ces successeurs et des orientations données.

 

Ni successeur, ni préférence

Ainsi s'étaient succédés les grands califes: Abou Bakr pour sa qualité de Seddik, le véridique, Omar Ibn El Khatab, réputé pour son exactitude, Ohtmane, pour son soutien matériel et moral et enfin Ali pour son courage et son savoir. C'était la période faste du califat modèle, dit guidé. De son vivant, aucune recommandation à part celle indiquée dans la choura, la consultation et la vote de la majorité, n'avait été donnée. Aucun nom n'avait été avancé. Le dernier des Prophètes (P. et S sur lui) dont les enfants mâles avaient été rappelés à Dieu avant lui en bas âge, ne pouvait avoir de successeur désigné, y compris parmi les compagnons ou les membres de la famille sacrée. A la mort du Prophète (P. et S. sur lui), survenue pourtant sans surprise puisqu'elle avait été annoncée dans sourate El Nasr et à sa fille intime et préférée Fatma Zohra, (Que Dieu l'agrée), qui lui avait survécu, personne ne savait qui allait lui succédé, non pas à la prophétie clause définitivement, mais à la gestion et à la direction de la Ouma.

 

Le passage aux urnes était la règle entre les grands décideurs de confiance. Le choix porté sur Abi Bakr, (Que Dieu l'agrée), était le résultat de consultation, malgré son rang et son influence.

 

Idem, lorsqu'il mourut, personne ne pouvait prédire qui allait lui succéder. Tout le monde avait attendu le résultat de la consultation et l'annonce officielle du nom du successeur pour ensuite être clamée par les autres compagnons et le reste de la Ouma. Idem pour Omar malgré également son rang et son importance même si son nom avait été recommandé par Abou Bakr qui craignait une fitna après. Idem pour Othmane dont le consensus fut difficile à se dégager. Omar n'avait fait aucune proposition mais rétablir la notion entière de la choura. Idem pour Ali qui attendait son tour avec sagesse. Que Dieu les agrée tous. La règle était respectée scrupuleusement.

 

Tous les califes étaient soumis à la choura            

Tous avaient été soumis à ce jeu de succession qui avait jeté en effet les bases de la démocratie au sens moderne du terme en dépit des liens qui les liaient au Prophète (P. et S. sur lui) dans une ramification particulière. Le Prophète (P. et S. sur lui) était marié aux filles de Abi Bakr et Omar, Aïcha et Hafsa (que Dieu les agrée). Les deux derniers califes étaient, eux mariés aux filles du Prophète (P et S. sur lui).

 

Les mécontentements ne commencèrent à voir le jour qu'avec le dernier calife, non pas sur la manière de la succession, mais sur son refus d'organiser une expédition punitive contre les commanditaires des assassins de Othmane comme le clamait le clan de Damas, présidé par Mouâoui. Avant de connaître les causes de La brèche et le basculement vers les premières dérives, il faut jeter un regard sur le noyau de la famille sacrée.

 

Smail BOUDECHICHE

 

Prochain article: l'âge d'or du noyau de la famille sacrée et du califat


 


Chronique –dix-

Le noyau de la famille sacrée –suite deux

 

L'âge d'or

 

Au départ, la famille sacrée évoquée dans sourate El Ahzeb dans l'appel lancé au Prophète (P. et S. sur lui) déterminant les relations du Prophète avec ses épouses et les conduites que celle-ci doivent observer, étaient limitées strictement à ces épouses.

 

Ali et Salmane El Farissi dans la maison

Le hadith a explicitement rajouté le nom de Ali, sa femme Fatma Zohra et leurs deux enfants, El Hassen et El Houcine, ainsi que Salmane El Farissi qui a servi loyalement le Prophète (P. et S. sur lui). Il va de soi que Khadidja, sa première femme, décédée trois ans avant l'Hégire, ainsi que ses enfants, trois garçons morts précocement, El Kassim, l'aîné, Abdallah surnommé Et-Taïeb et At-Tahir et quatre filles Zineb, Roukaia, Oum Kaltoum et naturellement Fatma Zohra, en font partie, que Dieu les agrée tous. Seule cette dernière, que Dieu l'agrée, qui avait laissé deux enfants derrière elle, avait survécu six mois à son père.

 

Pas d'aumônes

Au sens strict, ce sont les membres de la famille du Prophète (P. et S. sur lui),  auxquels il faut ajouter Ali, ses deux fils, Ali et Salmane El Farissi, que Dieu les agrée. Les sources sont partagées sur le nombre exact d'épouses légales et de concubines (ama) du Prophètes en les situant généralement à onze et trois.

 

 Les membres de la famille sacrée recevaient des présents qu'ils pouvaient accepter ou refuser, mais jamais d'aumônes eu égard à leurs rangs à la manière du Prophète, (P. et S. sur lui) qui donnait instruction à ces épouses ou ses filles pour que rien ne reste de ces présents à son domicile ne serait-ce qu'un laps de temps de quelques jours. Les femmes du Prophète (que Dieu les agrée) qui lui avaient survécu et qui recevaient constamment des visites presque quotidiennes de la part de fidèles et de femmes, dans un cadre réglementé, utilisaient ces présents dans l'aide aux proches, aux nécessiteux, aux démunis et aux pauvres.

 

De cette façon, ils ne possédaient jamais rien, mais ils n'étaient jamais dans le besoin non plus. Leurs visiteurs ou les mendiants ne repartaient jamais les mains vides. Le Prophète (P. et S. sur lui), ainsi que sa famille, sont connus pour leur bonté et leur hospitalité. Cette modestie et cette simplicité leur procuraient une aisance et une mobilité dans la vie, ce qui leur permettait de se consacrer entièrement à leur religion et aux actions de bienfaisance. De plus, ils vivaient aussi du produit de leur travail.

 

Toutes les femmes ayant survécu au Prophète (P. et S. sur lui) avaient servi la cause de l'Islam en laissant un héritage inestimable de références dans le rapport des hadiths et de comportement et de conduite. Toutes étaient des écoles vivantes en jouant leur rôle de mères des croyants en appliquant à la lettre les recommandations contenues dans les deux appels

dans sourate El Ahzeb, spécialement adressés à leur égard. 

 

Ni dinar, ni dirham

Le Prophètes (P. et S. sur lui) disait les prophètes ne s'héritaient ni dinar, ni dirham. Les musulmans ont un devoir sacré envers les membres de la famille du Prophète en priant pour eux comme pour le Prophète (P. et S. sur lui) en prononçant à leur simple évocation la formule de prière consacrée, que Dieu les agrée. De plus les musulmans sont tenus de placer l'amour de Dieu et de son Prophète (P. et S. sur lui) avant toutes choses partant de la conviction qu'aussi bien leurs personnes que leurs biens appartiennent à Dieu.

 

C'est pour cela que les musulmans sont tenus de prier pour le Prophète (P. et S. sur lui), ainsi que les membres rapprochés de sa famille (que Dieu les agrée tous) pour que Dieu les élèvent davantage auprès de lui à chaque invocation et les croyants qui prient dans leur sillage. Celui qui entend le nom du Prophète (P. et S. sur lui) évoqué et qui ne prononce pas la formule de prière consacrée en ayant une pensée pieuse pour lui est un avare, dit le hadith.

 

Modèle de transition

Cette façon de voir, c'est-à-dire, respect de la famille sacrée d'un côté avec ses prérogatives et ses limites, son honneur et sa haute considération et de l'autre une distinction dans la conduite des affaires politiques, avait permis une meilleure gestion de la période de transition et de la succession du Prophète (P. et S. sur lui) qui restera un modèle de gestion politique en Islam et une référence contre les idées déviationnistes. Elle s'appelle El Khilafa Errachida", le califat ou succession bien guidée, faisant la part des choses entre la place de la famille sacrée et la chose publique.

 

Si les membres arrivaient à exercer la gestion, ils tombaient sous le coup de la choura et du respect des choix du peuple et de la majorité. Le seul rang ne suffisait pas. Ainsi, il avait été le cas pour Ali, explicitement cité membre par le Prophète (P. et S. sur lui) pour lequel le principe de la choura lui avait appliqué à la lettre. Avec la venue de la dynastie Omeyade et l'apparition des chiites, se précisent de nouvelles donnes sur la vision des deux courants de la famille sacrée et son rôle dans la vie, notamment politique. Ce qui allait suivre, marqua la première dérive par rapport à cet âge d'or.

 

 Smaïl BOUDECHICHE

 

 

Prochain articles: lorsque les politiques s'en mêlent    


 


 

Chronique onze

La maison sacrée:  trois


Lorsque les politiques s'en mêlent

 

Les savants sunnites ont été unanimes pour l'élargir aux oncles paternels du Prophète (P. S. sur lui) sur la base du sang en incluant les descendants des banou Hachem, notamment de son grand père Abdelmoutalib, ouvrant la voie aux gourmandises des prétentions héréditaires, celles-là mêmes qui avaient été interdites au Prophète (P. et S. sur lui). La volonté divine a voulu que tous ses enfants mâles meurent avant lui en bas âge pour ne pas permettre un héritage dans la succession prophétique, Mohamed (P. et S.sur lui) étant le dernier des prophètes.


Le lien du sang devient primordial

Le grand cheikh Ech-chafii, très suivi en Orient, avait rajouté des branches des Banou Hachem oubliés se basant uniquement sur l'affiliation du sang. Les savants avaient été, sans doute, animés de bonne foi en se basant en effet sur un autre verset qui institue et privilégie les liens de rapprochement de la famille par le sang à côté de ceux de sourate El Ahzeb qui délimitent et fixent les conditions des membres de la Maison du Prophète. Ainsi le noyau clairement défini de la famille restreinte au Prophète s'était trouvé très élargi en se passant des critères très stricts imposés aux membres de la famille, notamment aux épouses du Prophète (P. et S. sur lui). Il voulait redonner la place convenable à Koraich, la tribu qui avait enfanté le dernier des Prophètes. Mais son interprétation par la suite à des fins de privilèges politiques, idéologiques, culturels et sociaux avait eu des effets multiples aux conséquences pas toujours souhaitées.


Chez les sunnites

Les membres de la famille sacrée (Que Dieu les agrée) sont ainsi arrêtés:

 

- Le Prophète (P. et S. sur lui), ses épouses et ses fils (filles et garçons) (Que Dieu les agrée), ainsi que leur progéniture.

 

- Les membres cités dans le hadith mentionnant qu'Ali, sa femme et fille du Prophète, Fatma Zohra et leurs deux fils El Hassan et El Houssine (Que Dieu les agrée), et leur progéniture ainsi que Salmane El Farissi en font partie. 

 

- Les membres de la famille des Banou Hachem, l'arrière grand-père du Prophète au nombre de six issus de son grand père Abdelmoutaleb: Les membres des fils de son oncle Abou Taleb, dont Ali et ses frères Djaafar et Oukil, les membres de la famille de son oncle El Abass, les membres de son oncle Abi Lahab, et les membres de son oncle El Harith. Il va de soi que les oncles ou leurs fils morts mécréants comme Abou Taleb (malgré le soutien apporté au Prophète) et Abi Laheb (son ennemi juré) en sont exclus. Leur progéniture jusqu'à la fin des temps sont considérés comme faisant partie de la famille.

 

Chez les chiites, 

Les chiites considèrent qu'il y a deux catégories de membres:


1-       La première est strictement limitée au Prophète  (P. et S. sur lui), sa fille Fatma Zohra, ses fils El Hassan et El Houssine et son mari Ali. (Que Dieu les agrée). Seuls les descendants des fils de Ali et Fatma Zohra sont aptes à succéder à la direction spirituelle et politiques des musulmans. Ils se réfèrent au Hadith dit de l'habit du Prophète jeté sur Ali, sa femme et ses deux fils en disant que ceux-là sont de la maison. Ils l'interprètent à leur manière en excluant les autres. Les chiites considèrent que l'oncle du Prophète et père de Ali, Abou Taleb comme croyant et l'intègrent à la famille à l'exception des autres oncles.

2-        

La deuxième, accordée à titre honorifique, englobe les membres de la famille des banou Hachem auxquels l'aumône est interdite.  

 

C'est ainsi que les chiites ignorent superbement les autres épouses du Prophète (P. et S. sur lui) dont la grande Aïcha, (Que Dieu l'agrée), ainsi que les grands califes à l'exception de Ali (Que Dieu glorifie son visage et l'agrée).

 

Voilà pourquoi des courants politiques se réclamant du sunnisme et sous l'influence sans doute du développement du chiisme rampant, ont outrepassé le cadre laissé par les grands califes en recourant eux aussi à l'utilisation de la famille sacrée pour justifier leur légitimité et imposer leur hégémonie.

 

L'utilisation politique

L'utilisation de la référence à la famille sacrée et à sa descendance ainsi élargie s'était développée à un rythme accéléré avec la venue de la dynastie des omeyades, ouvrant la voie à des combats idéologiques et se traduisant souvent par des violences meurtrières et des vengeances terribles entre clans. Le califat devient une affaire de famille et non une question de choura. A l'ombre de ces contradictions s'était développé le courant chiite s'efforçant de restreindre le jeu et limiter l'héritage de la famille à la seule famille de Ali avec sa femme Fatma Zohra et leurs deux fils Hassan et El Houssine (Que Dieu les agrée) et le droit absolu de l'héritage de la direction idéologique et politique à leur seule progéniture.

 

C'est pour cela il faut jeter l'éclairage d'abord sur la dernière fille du Prophète, Fatma Zohra, (Que Dieu l'agrée), l'une des quatre dames universelles du Paradis, le nœud de la question, réclamée par les deux clans, sunnite ou chiite? Ce sera notre prochain article.

       

 Smail BOUDECHICHE

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